L’erreur, l’accident et le presqu’accident

Sep 30 / Leïla Assaghir

Avez-vous fait une erreur ces 10 derniers jours ? 

C'est la question que j'ai posée aux vétérinaires et ASV dans le cadre de ma thèse. Étonnamment, 1/3 des répondants ont affirmé n'en avoir commis aucune. 

Pourtant, selon les ergonomes, nous ferions entre 3 et 7 erreurs par heure, et ce quel que soit notre domaine d'activité ou notre niveau d'expertise. Et c'est sans compter le stress, la fatigue, les situations complexes ni toutes les autres menaces qui augmentent encore ce risque. En médecine humaine, des études observationnelles ont révélé un moyenne de 1,7 erreur par patient et par jour.

Alors comment expliquer cette sous-déclaration dans mon enquête ?


On voit l'accident, pas l'erreur !

Notre cerveau a tendance à "gommer" les erreurs. Dans la majorité des cas, nous les détectons et les corrigeons spontanément. L’erreur est assimilée à un "non-événement" et ne laisse pas de trace durable dans notre mémoire. Il est donc normal de ne pas se rappeler de toutes ses erreurs !

D’autre part, nos idées préconçues sur les erreurs brouillent notre perception. Certains vétérinaires considèrent que les erreurs rattrapées ou sans conséquences graves ne sont pas de vraies erreurs. Dans le langage courant, l'erreur est souvent synonyme d'échec si bien que ce que s'il n'y a pas de conséquences... alors il n'y aurait pas d'erreur ! En confondant l’erreur et l’événement indésirable, une grande partie de nos erreurs passe donc sous le radar.


Mais alors, c’est quoi une erreur médicale ? 

Le terme d’erreur médicale n’a pas de définition consensuelle. Ni le droit, ni les institutions ne l’ont définit. Dans la littérature, on en trouve une vingtaine de définitions. La plus fréquemment citée est celle de James Reason, psychologue de profession et père d’un modèle d’accidents encore aujourd’hui très utilisé. Selon lui, les erreurs sont des : « séquences planifiées d'activités mentales ou physiques qui ne parviennent pas à atteindre l'objectif désiré, quand ces échecs ne peuvent être attribués à l'intervention du hasard. »

Autrement dit, en simplifiant un peu, l’erreur est un écart cognitif involontaire entre l’objectif et le résultat qui n’est pas lié au hasard.  

L’erreur ne se définit donc pas en fonction de si elle a atteint ou non le patient, mais en fonction de l’objectif de notre action. 

Exemple : préparer du Convenia à la place du Cerenia
Séquence mentale : Je veux injecter du Cerenia --> Le Cerenia est rangé dans le frigo --> J’ouvre le frigo. --> Je prends le flacon de Convenia à la place du Cerenia...

Que je me rende compte avant d’injecter le médicament qu’il s’agit de Convenia et non de Cerenia, ou que je ne m’en rende compte qu'après, cela reste une erreur. Une erreur sans conséquence, mais une erreur quand même !

Les erreurs sans conséquence sont riches d'enseignements !

Penser que seules les erreurs entraînant des conséquences graves méritent notre attention est une grave erreur. En effet, d’après la loi de Heinrich : au travail, pour chaque accident qui entraîne une atteinte grave, il y a 29 accidents ayant causé des atteintes mineures et 300 n’ayant entraîné aucune conséquence.

S’intéresser aux événements sans conséquences, fréquents, est donc essentiel pour prévenir les catastrophes, rares. L’analyse des "presque-accidents" est un outil précieux pour : 
  • identifier et renforcer les barrières et comportements qui ont permis d’éviter le pire,
  • repérer les menaces qui ont favorisé l’occurence de l’erreur pour les réduire et éviter de les reproduire.

Exemple : préparer du Convenia à la place du Cerenia
Cette fois-ci, mon erreur n’a pas eu de conséquence car je l’ai détectée assez tôt. Mais un autre jour, fatigué, en retard et stressé par les clients qui s’accumulent en salle d’attente, avec un chat à la contention difficile, cette erreur aurait pu conduire à un événement indésirable (certes pas très grave dans cet exemple).

Alors : 
⇒ Pourquoi ai-je confondu le Cerenia et le Convenia, alors que les conditionnements ne se ressemblent pas ?
⇒ Quelle barrière ai-je mise en place pour m’assurer que j’ai bien entre les mains le bon médicament ?

Lutter contre les idées préconçues et favoriser la prise de conscience de l'importance de la prévention (notamment par l'analyse des presque-accidents) est essentiel pour améliorer la sécurité de nos patients. C'est la première recommandation issue de mon travail de thèse : diffuser, faire connaître et sensibiliser les soignants sur le sujet des erreurs et de la sécurité des soins. 

Et vous, de combien d’erreurs survenues ces 10 derniers jours vous rappelez-vous ?

Sources

  • Tous les exemples sont issus de témoignages récoltés dans le cadre de ma thèse ou de mes formations à la sécurité des soins.
  • Reason J. (2000). Human error: models and management. BMJ (Clinical research ed.), 320(7237), 768–770. https://doi.org/10.1136/bmj.320.7237.768
  • Donchin Y, Gopher D, Olin M, et al. (1995). A look into the nature and causes of human errors in the intensive care unit. Crit Care Med ;23: 294-300.
  • Nancy EC, Harini Pallerla, Saundra Regan. What do family physicians consider an error ? A comparison of definitions and physician perception. BMC Fam Pract. 2006;7:73.
  • Heinrich (1959). Industrial Accident Prevention 4TH Edition a Scientific Approach Hardcover – 4th Edition; McGraw-Hill Book Company.
  • ASSAGHIR, L. (2023). Les erreurs médicales dans la pratique vétérinaire animaux de compagnie. Thèse de doctorat vétérinaire. Nantes : école nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes-Atlantique.